D’autres vies que la mienne – Emmanuel Carrère

Nouvelle chronique aujourd’hui avec ce roman publié chez Folio. L’histoire est une commande à l’auteur. Emmanuel Carrère endosse parfaitement son rôle du début à la fin de son histoire, dans laquelle il nous livre son témoignage personnel et partagé sur la mort.

D’abord la mort de Juliette, quatre ans. Une mort soudaine et complètement inattendue, celle qui ne vous laisse pas vraiment le temps d’y réfléchir, qui vous tombe dessus. Un tsunami ravage une partie du Sri Lanka et emporte dans son sillage de nombreuses personnes. Habitants ou vacanciers, leur identité s’étend bien plus largement que ces deux termes. Juliette, par exemple, est une petite fille. Avec elle sont emportés des amis, des pères, des sœurs, des époux. De cela il ne reste que les corps entassés dans les hôpitaux les plus proches, qui attendent qu’on les reconnaissent, qu’on leur attribue cette identité, pour enfin partir vraiment.

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L’auteur vit ce moment avec sa famille: Hélène sa compagne et leur fils respectifs. Forcément il se dit que ça aurait pu être lui. Forcément il y pense. Mais dans l’urgence, il voit sa femme se dévouer et aider généreusement ceux qui sont dans le besoin. La période de flottement que leur couple traversait s’efface, et plus tard ils diront qu’ils n’ont jamais été aussi proche que dans ce moment-là.

Les vacances se terminent et la vie retrouve son cours. Pourtant, une autre Juliette va connaître la mort. La sœur d’Hélène est atteinte pour la seconde fois d’un cancer. Ce n’est donc pas une mort soudaine et imprévue, comme pour la petite Juliette, mais une longue attente, un chemin partagé vers cette fin.
L’auteur raconte tout cela tout simplement car on lui demande. Lui, l’écrivain, celui qui est en posture de raconter ce qui se passe sous ses yeux, pourquoi ne le raconte-t-il pas ?

Il écrit sur Juliette à travers le regard de ses proches, toute entière dans ses postures de femme, de mère, de sœur, de juge et de malade, et sans aucun effet larmoyant.

« Alors, bien sûr, je ne crois pas que tous les cancers s’expliquent ainsi, mais je crois qu’il y a des gens dont le noyau est fissuré pratiquement depuis l’origine, qui malgré tous leurs efforts, leur courage, leur bonne volonté, ne peuvent pas vivre vraiment, et qu’une des façons dont la vie, qui veut vivre, se fraie un chemin en eux, cela peut être la maladie, et pas n’importe quelle maladie : le cancer. » p. 156

Pour ceux qui auraient lu Les derniers jours de Rabbit Hayes, l’idée est la même mais la forme est totalement différente. Il y a un véritable détachement de la part d’Emmanuel Carrère, qui entraîne le récit dans une véritable réflexion sur les différents sujets qu’il aborde. Forcément, il y a la maladie. C’est un sujet qui est particulièrement bien abordé car il n’hésite pas en parler du point de vue personnel, non médical ou théorique. Les références sur lesquelles il s’appuie m’ont donné envie de lire ces ouvrages.
Le thème de la justice est une part importante du roman étant donné que Juliette travaille comme juge, et que l’un de ses collègues et ami de « souffrance » la raconte à travers son engagement dans son travail et ses moments de panique qu’elle partageait avec lui uniquement pour ne pas effrayer sa famille.
L’amour enfin n’est jamais véritablement nommé ou pointé du doigt. Il est là, bien présent, il se ressent, il se suffit à lui-même.

Et le savant mélange de tout cela fait du roman d’Emmanuel Carrère une véritable merveille qui, par sa sincérité et sa profondeur, m’a faite pleurer de longues minutes !

2 commentaires sur « D’autres vies que la mienne – Emmanuel Carrère »

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